François Thévenot, le bâtisseur

              * I N T E R M E Z Z O *

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– Des numéros de « L’Avenir d’Arcachon » manquent dans les collections de la B.N.F et des archives municipales arcachonnaises. En attendant de reprendre la rubrique des actualités locales d’il y a cent ans,  voici un portrait de François Thévenot que le rédacteur en chef de « L’Avenir » voua aux gémonies, l’accusant d’être un profiteur de guerre et de vouloir s’approprier la forêt domaniale située au sud d’Arcachon pour y construire un lotissement. « L’Avenir » trouve dans cette prétention l’occasion de critiquer le maire d’Arcachon, Veyrier-Montagnères, qui appuie les projets de Thévenot. En fait, devant certaines réalités historiques, un portrait plus nuancé de François Thévenot s’impose.

+ François Thevenot (1877-1944) est un industriel qui a créé la Société des  grandes entreprises méridionales en 1899, spécialisée dans les travaux de génie civil. Pour la développer, il s’appuie à partir de 1913 sur un ingénieur des Arts et Métiers, André Bernard qui dirigera des grands chantiers que l’entreprise Thévenot réalise en sous-traitance pour la Compagnie des chemins de fer du Midi ou bien directement pour d’autres entreprises, telle la Société métallurgique de Normandie.

Durant la Grande guerre, Thévenot fonde l’usine d’explosifs Thévenot et fils située à Croix d’Hinx, dirigée par André Bernard, mobilisé. L’entreprise est située dans un vaste domaine de 727 hectares qui appartient aux héritiers des frère Pereire et que Thévenot achètera en août 1917. Deux graves accidents y marqueront cette période dramatique. En 1916, le premier, peut être du à un sabotage, causera 44 victimes et plus d’un million de francs de dégâts. Le second, le 17 février 1917, causera deux morts. L’usine ferme à la fin de 1917, des marchés russes ou italiens lui faisant défaut. (1)

Durant cette guerre, Thévenot s’est installé à Arcachon, villa « Saint-Yves ». Il acquiert une partie des près salés ouest de La Teste et plusieurs propriétés dans la partie est du Bassin. (1)

À partir de 1927, il part vivre dans les Hautes-Pyrénées où il  a construit plusieurs ouvrages hydroélectriques pour le compte de la Compagnie des Chemins de fer du Midi, dont le plus célèbre est le barrage d’Artouste, desservi par le fameux petit train, transformé en service touristique en 1932.

En 1914, il a acquis le vaste domaine Chavat à Podensac  « un poème de pierre et de verdure » (2) Certains historiens locaux comme Jean Marc Depuydt ou Michel Boyer, (2) le décrivent en « créateur » et on le considère là-bas comme un mécène des arts et un bienfaiteur de la commune. (Voir le blog consacré au N°3504 de l’Avenir). (3) Pas bien loin de Chavat, au sud, sur la commune de Loupiac, il achète  en décembre 1917, le château du Cros qui domine une vaste propriété de cent hectares. Thévenot, comprend aussitôt les  difficultés techniques de cultiver la vigne sur les soixante hectares situés sur les pentes du  coteau couronné par un château médiéval. Il  entreprend donc, à partir de 1920, d’implanter le vignoble sur le plateau, autrefois cultivé en blé. Depuis, le château du Cros produit un vin blanc liquoreux réputé. (4)

Divers documents prouvent que Thévenot a versé de l’argent à des permissionnaires qui avaient travaillé sur ses propriétés et qu’il a fait envoyer de très nombreux colis aux soldats sur le front. On sait aussi qu’il montrait un grand respect pour tous ceux qui travaillaient avec lui. Ne voulait-il pas créer une « cité ouvrière » dans la forêt arcachonnaise, ce qui, de plus, correspondait à la politique sociale menée par Veyrier-Montagnères ? 

Cependant, les déboires financiers de Thévenot commencent au début des années 20. L’État et les familles victimes des accidents de la poudrerie lui demandent des comptes si bien qu’ en 1923, il doit vendre son domaine de Croix d’Hinx. En 1929, il est lourdement condamné pour dissimulation de bénéfices industriels. Puis la crise économique mondiale qui atteint la France courant 1929  l’oblige à céder le domaine Chavat en 1934 à la commune de Podensac et le château du Cros à son gendre, Georges Boyer, un ingénieur appartenant à une riche famille bordelaise spécialisée dans les constructions métalliques et qui construisit par exemple la fameuse passerelle ferroviaire Eiffel sur la Garonne à Bordeaux. 

François Thévenot vendra « Saint-Yves » en 1927 et quittera Arcachon. Fortement attaqué par « L’Avenir », il y laissera le souvenir, nullement faux, d’un profiteur de guerre, d’un marchand de canons  et d’un délinquant financier. Mais sa mémoire mérite sûrement  mieux que cette triple marque infâmante qu’Arcachon garde de lui car il a laissé de nombreuses traces d’un entrepreneur et bâtisseur d’envergure, d’un investisseur hardi et d’un mécène pour des artistes. 

                                                                                                         J.D.

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  • (1) « La poudrerie de Croix d’Hinx ». Madeleine Dessales et Émile Vialaret. Bul. n° 164 de la Société Historique d’Arcachon et du Pays de Buch. Mai 2015.
  • (2) Après la pub, extrait du Journal régional de FR 3-Aquitaine du 13 novembre 2018
  • Michel Boyer est précisément le gardien de la mémoire familiale sur François Thévenot qui était son grand père. (Jean Marc Depuydt)
  • (3) Site de la commune de Podensac : Domaine de Chavat / un livre aux éditions Entre deux mers
  • (4) Les Amis du château du Cros, Loupiac.