Les mille vies de Pierre Malrieux

   PIERRE  MALRIEUX  A  CENT  ANS. Et  comment évoquer en peu de mots la longue vie si bien remplie d’un homme si dense, d’un artiste parvenu à la plénitude de son art et qu’il veut pourtant toujours renouveler ?

par Jean Dubroca

Pierre Malrieux, autoportrait

   Notre ami académicien est né le 13 septembre 1920 à Villefranche-de-Queyras, dans le Lot-et-Garonne, près de Marmande. Son père y était coiffeur-barbier itinérant mais la naissance de son fils le décide à gagner Bordeaux. Avec sa femme, ils installent leur salon rue Sainte-Catherine mais ils résident à Talence. C’est là que Pierre fait ses études et qu’il apprend le dessin et la peinture. De bonnes études, qu’il a poursuivies à Bordeaux dans une école de comptabilité, en alternance avec son apprentissage du métier de coiffeur. Car son père l’avait décidé : il serait coiffeur, même si le proviseur du lycée avait tenté de l’en dissuader.

   Coiffeur il sera donc, mais à sa manière : l’excellente. Et il y parviendra si bien qu’en 1947, après des passages dans de grands salons bordelais, puis après avoir travaillé chez Louis Gervais, près des Champs-Elysées, le voilà sacré … champion du Monde des coiffeurs ! Il démontre alors  son talent dans de nombreuses rencontres internationales et il dirige l’Institut de beauté « Marquise », avec ses dix-sept employés.

   Seulement, il se souvient bien qu’à seize ans, il avait annoncé à sa mère : « Je serai coiffeur et peintre après ». Effectivement, viennent les premières œuvres exposées en 1951 dans une galerie parisienne de la rue de Bourgogne. Elles reposent alors sur un style qu’on appellera « la réalité politique ». D’autres expositions suivent et des achats aussi. Tant et si bien que Malrieux, que Paris n’inspire guère, sent, alors qu’il est âgé de  35 ans : « le moment de tout changer est venu ». 

La vie d’après

   C’est donc au Cap Ferret, au fond de l’allée des Bouvreuils, qu’il s’installe pour mener « sa vie d’après ». Il y ouvre un atelier qui jouxte son salon de coiffure. Bien que la presqu’île soit encore  le bout du monde, des clientes affluent chez celui qui est devenu « Gilles de Paris » et même « Gilos ». Il ouvre alors en 1957 un salon d’hiver  à Bordeaux ce qui ne l’empêche pas de peindre de plus en plus et même d’exposer chez « L’Ami des Lettres » qui est alors la galerie la plus en vogue dans Bordeaux. Mais ce qui va bouleverser sa vie, c’est sa rencontre avec Nicole, vite devenue « Niquette ». Celle qu’il appellera « sa muse »  deviendra tout pour lui. Mais aussi lui sera tout pour elle à tel point qu’elle aime l’appeler  « le maître », car dit-elle : «  aujourd’hui, je considère qu’il a atteint ce degré dans sa peinture ».  

« Niquette »

    C’est en 1965 que se produit « comme un coup de foudre » entre le peintre et un jeune journaliste, Dominique Lopez, chef de l’agence arcachonnaise de « Sud-Ouest ». Dès lors, il consacrera à Malrieux de nombreux et importants articles et un livre (*)  d’où viennent toutes ces informations ainsi que ces illustrations.

Plage, Mimbeau

    Le premier article est sans équivoque puisqu’il porte en titre : « Le Bassin a trouvé son peintre : Pierre-Gilles Malrieux ». Effectivement, l’artiste le confirmera en disant :

« Le Bassin, c’est un infini pour l’œil, comme la Camargue (…) j’en aime la marée basse, la terre à fleur d’eau. C’est ma première rencontre avec la nature. (…) Le Bassin m’a rendu plus vrai ».

Christ bleu , détail

   L’important article suivant date du 5 août 1974. Son titre : « L’importance du bonheur ». Ce bonheur, la « petite  mer » semble l’avoir apporté à Malrieux puisqu’il peint désormais « avec des ocres provençaux et des roses des cieux espagnols qui  traduisent aussi, écrit Dominique Lopez « une halte mystique sur sa recherche intérieure ». Car, si Malrieux revendique les influences sur lui des grands maîtres, du Gréco à Matisse, il reconnaît  l’emprise de Dieu  sur ses créations. « Je crois en Dieu, totalement », a-t-il confié à Dominique Lopez. Il ajoute : « Je crois aussi à la réincarnation, aux sept cycles de l’âme, aux forces occultes, aux entités, aux morts qui nous entourent ». Cette force mystique se traduit en cette année 1974 par une éblouissante exposition tout entière consacrée à la religion. Mais son mysticisme est une source de vie, une force de renaissance qui, par la suite, « va entraîner sa peinture vers des paysages de nulle part qui traduisent un bonheur tranquille qu’on peut aborder quand on a obtenu l’explication de l’importance de vivre », conclut le journaliste.

Un marché mexicain

     Le 19 juillet 1985 paraît un nouvel article qui marque une évolution dans l’œuvre de Malrieux. Il s’intitule : « Malrieux el Mexicano ! » Le peintre, alors âgé de cinquante-trois ans, estime : « le Bassin est léthargique et un sommeil ne doit pas être trop long ». Bien que toujours marqué par le succès, il n’hésite cependant pas à rompre les amarres. Désormais, c’est en Provence, en Galice, à Sète, en Corse, dans tout ce sud de l’Europe qu’il trouvera l’inspiration et il la poursuivra jusqu’au Mexique. « Il en rapportera un supplément d’humain qui se traduit par une palette de couleurs chaudes oscillant de la vivacité la plus éclatante aux fondus les plus sombres », écrit D. Lopez. Il estime alors que l’artiste est devenu « un peintre d’atmosphère, de moins en moins descriptif, de plus en plus romantique (…)  tout ce qui fait de lui un des meilleurs représentants du figuratif composé. (…) Sensibilité, lyrisme, sensualité marqués par une tonalité exemplaire des couleurs avec les fameux bleus, les ors, les roses, les bruns. »  

Séville

     Mais il ne s’agit là que d’une étape dans ce qu’on aurait pourtant pu croire des œuvres matures puisque le 28 janvier 1990, on lit dans « Sud-Ouest » : « La métamorphose de Malrieux : les admirateurs du peintre vont être étonnés : le maître vient d’opter pour une manière expressionniste ». Ce qui se traduit, peut-on lire « par des à-plats dominants et une large place aux couleurs qui se marient et se mélangent. (…) Malrieux laisse dorénavant l’imaginaire prendre le pas sur le réel ».  C’est ce qui s’est affirmé dans les toiles exposées au Canon en août 1993 : « ses impressions de voyage se traduisent en transparences (…) Avec un trait minimal, Malrieux joue avec l’imagination de ses spectateurs ».  

Impression Bleu 1998

En 1999 maintenant,  Dominique Lopez note : « les plus récentes œuvres de Malrieux sont une quintessence de trente ans de recherches ». Pourtant, le peintre n’est pas arrivé à ce qui ne peut pas être une forme définitive de son expression puisqu’il dit : « Je suis arrivé à un moment où mon âge, ma réflexion, ma philosophie font que je devrais peindre comme si je venais de naître. Il faut faire le minimum de figuration et le maximum d’évocation. Il faut faire le plus simple possible et laisser place à l’interprétation, à la promenade dans une peinture ».

   C’est cette quête continuelle et optimiste de la recherche de nouvelles visions sur des mondes inexplorés qui font de Malrieux un maître car « il aura toujours eu une passion pour les espaces que l’on ne fermera, n’enfermera jamais » (**)

L’Académie du Bassin est honorée de le compter parmi ses membres les plus éminents.

                                                                                                         J.D.

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(*) « Pierre Malrieux », un peintre au XXe siècle ». Dominique Lopez. 1999.

(**) Préface de l’exposition de l’été 1995 à l’Espace 2000 à Arcachon par Dominique Lopez