1924, Sept : naufrage dans les passes, guerre des réclames et tentatives d’annexion, l’affaire Ponpon…

AV/SEPT 24

            LA VIE ARCACHONNAISE IL Y A PRESQUE CENT ANS VUE PAR « L’AVENIR » (*)

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                                               * DRAME DANS LES PASSES *

+ Lundi matin, par beau temps, le sardinier « Claire Victoria » de Gujan se rendait à la pêche. Il emmenait dix hommes, réjouis à l’idée d’une journée fructueuse. (…) Le « Claire-Victoria » est parti ; il n’est jamais revenu. Voici le récit d’un rescapé, Edmond Rousset :

« La pinasse en suivait deux autres qui ont franchi la barre sans encombres. Sur notre bateau, le patron Cassoudebat tenait le gouvernail. Plusieurs lames sont abordées de front sans dommage. Tout d’un coup, une lame brisée se reforme, change de direction, prend la pinasse de flanc, malgré les efforts du barreur, la chavire, la broie, l’engloutit dans un formidable remous. Les naufragés s’accrochent pendant une demi-heure à quelques épaves mais six d’entre eux se noient. Enfin, arrive le sardinier « Gysses », patron Darrélatour de Saint-Jean-de-Luz. Il procède au sauvetage de quatre hommes mais Castaing Pierre-Daniel, Deynu Jean, Deynu Gaston, Poumeyreau et Lafon n’ont pas reparu (…) C’était le plus grand naufrage depuis 1914. 

                                                       * C’EST LA GUERRE ! *

+ Albert Chiché annonce un mois agité. D’abord avec l’affaire du Bureau de Poste-et-Télégraphe couvert de pancartes publicitaires. Il fulmine : « On ne voit même plus la boîte aux lettres, les réclames sont tellement nombreuses qu’on prendrait la poste pour une agence de publicité ». La lutte est ouverte puisque, annonce le journaliste : « Le Conseil municipal a donné pleins pouvoirs au maire pour déclarer la guerre à l’administration des P.T.T. Surtout qu’on dit que le Receveur des Postes va placer des réclames dans le dos de ses facteurs. »

   Deuxième bataille en vue : « Notre municipalité, animée de l’esprit de conquête, veut annexer Pyla-sur-Mer et le Lapin-Blanc. Elle va se heurter à la résistance des Testerins ayant M. Dignac pour général en chef. Celui-ci défendra ses deux provinces avec obstination. Quelle lutte terrible ! Voyons la venir sans crainte puisque nous possédons une armée de héros à la tête desquels marchera le capitaine Bon, (Le maire. NDRL) le capitaine sans peur et sans reproches, comme le chevalier Bayard. Ce n’en sera pas moins une seconde guerre plus acharnée que la première ».

    Enfin, nous allons à combattre contre M. Despujols qui persiste à camper avec d’ignobles baraques sur la rive gauche de notre Bassin. Il s’agit de le déloger. Mais le constructeur a pour lui tous les parlementaires auxquels il a promis ou donné des bateaux. C’est donc une troisième guerre que nous avons sur les bras. Le moment est donc venu de fourbir nos épées et de tenir la poudre sèche. Pas de défaillance ! ». (Le 7/9).

                                                           * TOUJOURS L’AFFAIRE DESPUJOLS *

+ M. Despujols a voulu donner des précisions sur ses baraquements installés plage d’Eyrac : « En 1918, pendant la guerre, j’ai été autorisé par le Gouvernement à établir sur la plage d’Eyrac des construction d’hydravions. Ce chantier m’a coûté plus d’un million. Après la guerre, je les ai utilisés à la construction de bateaux pour l’État. Je reconnais que mes chantiers ne sont pas esthétiques. Mais il faut parfois sacrifier l’agréable à l’utile. Le quartier de St-Ferdinand n’est pas un quartier de luxe. C’est le quartier des prolétaires et des usines. Tout le site en est encombré. Faut-il que les ouvriers manquent de travail pour le plaisir des étrangers ? J’emploie toute l’année une centaine d’ouvriers auxquels je distribue un million de salaires. (…) Je contribue à la prospérité de la ville. A-t-on intérêt à  me chasser ? Je fais la population arcachonnaise juge de cette question ». (Le 21/9)  

                                   * ET ALBERT CHICHÉ DE S’INTERROGER … »

+ « Nous constatons au centre de notre ville des choses peu esthétiques. Sur la plage du Casino, un tas de ferrailles rouillées et des tas de moellons ; tout le long de la gare, des barrières pourries bordées d’ordures ; sur la place Tartas, un urinoir qui empeste le voisinage ; toutes sortes de panneaux devant la façade l’hôtel des postes. Un dépôt d’ordures, au bas de la pente du casino mauresque. Pourquoi, alors, au nom de l’esthétique, exiger l’enlèvement des chantiers de M. Despujols  alors qu’ils s’élèvent dans un quartier industriel et alors que M. Despujols distribue un million de salaires et qu’il attire des clients dont l’argent se répand dans nos hôtels ? »   

                                   * AUTRE FEUILLETON : L’AFFAIRE PONPON *

+ Ce pauvre Dachary, dit Ponpon le plus mignon, est de ceux que l’arrêté municipal empêche de vendre ses sucres d’orge sur la plage. Pourtant, rappelle Albert de Ricaudy, il y chantait sa belle chanson :

                                   … Au citron pour les garçons

                                            À la vanille pour les petites filles,

                                       Au café pour les curés, etc.

Malgré les foudres administratives et comme il est très pauvre, il est allé vendre ses bonbons sure territoire maritime et il comparaissait jeudi de ce fait devant le tribunal de simple police. Il s’est dit esbrouffé et le juge de paix a remis l’affaire à la prochaine audience ». (Le 7/9).

                                               * L’AFFAIRE PONPON (SUITE) *

+ Albert de Ricaudy se fâche : « Les considérations pour interdire un marchand de bonbons sur la plage sont si tirées par les cheveux qu’il faudrait mettre en doute leur sincérité et d’y chercher des « dessous ». (…) Si l’on ne veut pas que ces suppositions soient gratuites, il faut trancher ce mensonge par la base et retirer l’arrêté municipal, d’ailleurs illégal de faire assigner Ponpon. (…) Qu’on nous permette de dire que nous avons été surpris de voir M. le Juge de Paix entraver le fonctionnement de la justice en refusant les conclusions très nettes déposées par le délinquant et qu’il éludait l’obligation ennuyeuse d’y répondre article par article ». (Le14/9)

                                      * ET ENCORE L’AFFAIRE PONPON *

+ La première chose que les lois fondamentales interdisent au maire, c’est d’attenter à la liberté de commerce. Toujours par loi des 2-17 mars 1791, il est interdit aux maires de supprimer toute concurrence et de constituer un monopole. Or, la décision du maire favorise la tenancière du kiosque municipal. Un maire ne peut pas réglementer le territoire maritime (Article 538 du Code civil, livre IV). Interdire la plage à Ponpon  est donc un abus de pouvoir. Enfin les vices de forme sont nombreux dans cette affaire :

1° L’adjoint qui a signé l’arrêté relatif à Ponpon n’avait pas la délégation du maire.

2° Le dit arrêté n’a pas été communiqué au préfet.

3° Le procès-verbal de l’assignation en justice, signé du garde-champêtre, n’a  pas été communiqué dans les trois jours au juge de paix.

M. Jules Lefébure, avocat à la Cour d’Appel de Paris, nous a écrit pour nous signaler l’arrêt de la Cour de Cassation qui, après celui du Conseil d’État, a déclaré nul l’arrêté du maire de Biarritz qui voulait obliger les baigneurs à utiliser les cabines de bain municipales. (Le 28/9)

                                                                                             Albert de Ricaudy  

                                           *  À LA SOURCE DES ABATILLES *

+ Il résulte des rapports déposés à la préfecture de la Gironde que cette source est radioactive, faiblement minéralisée, alcaline, bicarbonatée, magnésienne, sodique, légèrement sulfhydrique. En foi de quoi, la Société de recherche d’hydrocarbures demande au Préfet de lui attribuer une des appellations suivantes : Source de la Grande Forêt ; Source des Palombes ; Source des Pins. Théoriquement, on peut considérer l’eau des Abatilles comme proche du type eau d’Evian mais chaude ».  

                                                 * INFORMATIONS  *

+ Le roi d’Espagne veut être incognito à Arcachon. Le cercle de la Voile a l’intention de lui offrir un banquet.

+ Quelques pharisiennes ont été scandalisées par certains détails de la fête des sœurs de St-Vincent de Paul. M. le Curé de Notre-Dame leur a dit que la parodie d’une tireuse de cartes ne tombait pas sous les coups des rigueurs ecclésiastiques.  

+ L’incendie qui a éclaté le 4 courant n’a vu arriver les pompiers qu’une heure plus tard car un agent de police a dû aller prévenir chacun à son domicile. Il faudrait installer à la mairie une sirène puissante qui les alerterait.

+ On nous signale l’état lamentable de l’Avenue du Château entre l’Olympia et le Casino.

+ On peut descendre la poétique rivière en canoë depuis Salles jusqu’à Lamothe.

+ Andernos était en liesse dimanche dernier pour le dernier jour de ses régates. Nous y avons vu les pittoresques courses de nos vieilles pinasses et entendu les jurons en patois des sardineys et des marineys du canton d’Audenge.

+ Les membres du Conseil d’administration de Pyla-sur-Mer, en reconnaissance pour services rendus, ont décidé de donner à grande avenue le nom de Daniel Meller.

+ D’Annunzio a écrit à M. Maxime Leroy : « Je voudrais vous embrasser et en vous toute la contrée du Moulleau. Je me promets de revenir. Je vous écris du lac de Garde, où flotte, aujourd’hui, l’enchantement de vos étangs landais ».

+ Nous recommandons aux automobilistes de se rendre à Hossegor pour les manifestations de cette ville ce dimanche : fête sportive sur le lac, bal public, illumination du pont et embrasement du site.

+ Beaucoup d’automobilistes visitent le port de Mestras au moment de l’arrivée des sardineys. Tous parlent du dernier naufrage. « Jugez-donc, monsieur, nous dit un marin, l’abondance du poisson nous rend téméraires. Chaque pêcheur gagne en ce moment mille francs par semaine. »

                                                     * MONDANITÉS *

+ La belle goélette de Mme Hériot est l’ancien yacht de Guillaume II. Dimanche, la yachtwoman y a donné un thé qui réunissait tout le dessus du panier du cercle de la Voile. Une messe sera prochainement dite à bord. Après avoir été francisé, le yacht sera catholicisé.

– Un dîner de têtes a eu lieu cette semaine chez le prince et la princesse Poniatowski. 

– M. Philippe de Rothschild a donné un rallye-paper très réussi. Pyla-sur-Mer est un petit Deauville. On y a remarqué le Comte de Montbrizon et Mme, MM. Blumenthal, Reinach, Dreyfus, etc.

– Dimanche 7 septembre auront lieu sur l’hippodrome de M. Jacques Meller, au Béquet, à La Teste, les courses de chevaux qui sont le grand événement sportif et mondain de la région.

– La société élégante s’est donné rendez-vous au tournoi de tennis patronné par la Société de Pyla-sur-Mer qui a réuni les meilleures raquettes du Sud-Ouest. M. Daniel Meller a donné un grand dîner à la Pergola aux vainqueurs du tournoi. Après le dîner, bal très sélect.

– On a pu voir ces jours derniers, sous les ombrages de la villa Michaëla au Moulleau,  se disputer un tournoi de « volley-ball » doté de beaux prix. Une assistance nombreuse a applaudi Mme la Comtesse de Teyssière, le Prince Poniatowski, le Comte de Teyssière, MM. Garros, St. Georges Chaumet.  Le jeu de « volley-ball », importé d’Amérique, exige beaucoup d’adresse et d’agilité.

– Lundi soir, la société de la Voile a donné un rand bal au Grand Hôtel. On y remarquait de belles toilettes mais on regrettait l’absence d’Alphonse XIII retenu en Espagne par les douloureux événements marocains. (Voir plus bas)

– C’est sous la treille du restaurant Bélisaire  qu’a eu lieu la distribution des prix des régates du S.V. du Cap-Ferret et du Moulleau. Le président Weill a remis une écharpe de soie à Mme Herriot pour la récompenser du courage qu’elle a montré en pilotant son yacht un jour de tempête, alors que beaucoup de concurrents avaient abandonné la régate.

– La saison d’été continue malgré le mauvais temps. La saison d’hiver s’annonce comme excellente car beaucoup de chalets sont déjà loués. Rolland Dorgelès, l’auteur des « Croix de bois », doit passer l’hiver ici.

                            * LES SPECTACLES AU CASINO DE LA PLAGE *

– Le 7 sept : Gina Palerme, la grande vedette du cinéma français, pur la première fois en province,  dans un tour de chant spécial pour elle.

– Le 8 sept : Tournées Baret : « Phi-Phi ».

– Le 9 sept : « Le voyage de M. Perrichon », avec Viber.

– Le11 sept : Tournées Baret : « Là-Haut ».

– Le 16 sept : Tournées Baret : « Ma Cousine de Varsovie ».

– Le 20 sept : Ouvrard fils, premier comique français.

– Le 28 sept : Lys Gauty, chanteuse à diction, grande vedette parisienne.

                                 ET PENDANT CE TEMPS À LA UNE DU « TEMPS » (*)

LE 7 SEPTEMBRE :

+ La 5° assemblée de la Société des nations vient de s’ouvrir.

+ La France veut favoriser l’unité allemande.

+ Italie : l’opposition parlementaire continue la lutte contre M. Mussolini.

+ Maroc. L’Espagne en grande difficulté militaire va évacuer 20 000 soldats de la zone de Tétouan.

+ Espagne : le Directoire en grande difficulté.

+ Allemagne : M. Hitler libéré après six mois de forteresse.

+ Alsace-Lorraine : 85 communes refusent l’introduction des lois laïques.

LE 14 SEPTEMBRE :

+ Si le traité de paix  ne stipule pas la responsabilité de la guerre de l’Allemagne, la France ne le signera pas.

+ Le ministre français de l’instruction publique invite les pères de famille à engager leurs enfants dans un enseignement moderne scientifique sans latin. Les humanités menacées.

+ La dette française envers les Etats-Unis ne sera pas discutée avant la signature du traité de paix en Europe.

+ Le Reichstag débat de l’entrée de l’Allemagne à la Société des nations. 

+Italie. Le député Casalini, membre du parti fasciste, assassiné.

+ Les Espagnols exaspérés par la grave guerre au Maroc.

+ Chine. Malgré la guerre entre les provinces, le calme règne dans les concessions européennes de Shanghaï. 

+ Portugal. La tentative de coup d’état militaire a échoué.

LE 21 SEPTEMBRE

+ Sécurité et désarmement. La France invite toutes les nations à signer le pacte de la S.D.N.

+ Inquisition fiscale. Un décret autorise le contrôle fiscal des valeurs mobilières.

+ Les farines sont taxées en France.

+ Le règlement de la paix. Les marchandises allemandes importées en France sont taxées à 26 %.

+ Le kronprinz autorisé à revenir en Prusse.

+ L’enseignement moderne permettra l’accès aux facultés de droit et de médecine.

+ Italie. Le portrait du pape saccagé par les jeunes fascistes.

+ Italie. Le grand maître de la  maçonnerie proteste auprès de M. Mussolini contre des actes de vandalisme sur des loges en divers points de l’Italie.

+ Italie. M. Bazzi, directeur du Nuovo Paese, est accusé par le député Mazzolani d’une prise de corps avec une purge forcée à l’huile de ricin.

LE 28 SEPTEMBRE

+ Manifestation inopportune.  Les déclarations  véhémentes des évêques contre des lois de laïcisation de l’État ne peuvent que servir l’extrême gauche.

+ La construction du canal latéral au Rhin, Bâle-Strasbourg va enfin commencer.

+ L’apposition d’étiquettes sur les bouteilles de lait augmente son prix.

+ Relations franco-allemandes. M. Herriot affirme son désir d’encourager la paix en Europe.

+ Société des Nations. Si l’Allemagne veut y entrer, elle doit accepter toutes les règles que cela impose.

+ Le contrôle militaire des pays vaincus est maintenu.

+ L’Allemagne va établir des tarifs de rigueur sur les articles de luxe français qu’elle importe.

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(*) Source : Gallica/BNF.