Vive les bateaux du Bassin !

TALENTS DU BASSIN (#30)

par Jean Dubroca

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PATRIMOINE : Les chantiers naval Bonnin et Bossuet, associés pour retrouver

la tradition des bateaux du Bassin .

 

– En matière de marine, Arcachon et La Teste possèdent leurs gloires dont les noms, quasiment héroïques, s’égrènent depuis cent cinquante ans : Couach (1867), Bossuet (1874), Barrière (1875), Castelnau (1880), Bert, (1900), Auroux (1927), Bonnin (1929), Matonnat (1935), Raba (1950) pour ne citer qu’eux, tandis que Dubourdieu, à Gujan-Mestras peut compléter vaillamment ce tableau d’honneur.

Et le miracle, c’est qu’à l’époque où le plastique règne en maître dans une industrie de la plaisance navale, des artisans continuent de fabriquer avec ferveur des bateaux traditionnels et même d’en inventer d’autres qui puisent leur formes, leur allure et leur prestance dans la longue histoire des beaux bateaux typiques du Bassin, passant allégrement de la tradition à la modernité en conservant le meilleur de chaque étape.   C’est le cas des dernières réalisations de l’union scellée par Alexis Bonnin et Jean-Baptiste Bossuet qui plongent leur inspiration dans des décennies de belle ouvrage pour continuer de produire des bateaux parfaitement d’ici.

 

Les Bonnin travaillent le bois à Bordeaux depuis … le XVIIème siècle ! En 1863, Jean Bonnin, après avoir réalisé l’entretien de gros bateaux, finit par se spécialiser dans la construction navale pour la marine de plaisance destinée à des amateurs fortunés qui naviguent sur des bateaux conçus par les grands Sahuque et Picamilh. L’aventure continue avec Georges qui, jusqu’en 1914, travaille avec d’autres prestigieux architectes pour des clients non moins prestigieux et dont les noms ont fait la réputation de la voile sportive sur le Bassin : Rothschild, ducs d’Albe et de Case, Eschaw ou Virginie Hériot. En 1928, Jean Bonnin installe son chantier à Arcachon (*) et commence très fort en construisant un yacht … pour le ministre de la Marine soi-même : Aymar Achille Fould ! Et le succès ne se dément plus. Cependant, la seconde guerre mondiale freine l’essor des Bonnin qui, cependant, montrent leur confiance en l’avenir en pressentant, dès 1942, la démocratisation de la voile et conçoivent avec Pierre Le Proux le fameux « Pacific », un dériveur de sport à deux équipiers qui conquiert tout aussitôt, malgré les circonstances noires, des adeptes enthousiastes. Après la guerre, avec René Bonnin, le chantier, pour ne pas disparaître, doit suivre l’évolution des techniques navales et tourne son savoir-faire, non sans regret, vers la construction en plastique, construisant divers types de voiliers en cette matière. Puis, la roue tourne et, au tout début du XXIème siècle, Jean-Louis Bonnin construit des bacs à voile, en plein renouveau depuis que l’association Auport a construit sur le port de La Teste, le « Président-Mallet ». Renaissent encore d’autres genres de bateaux traditionnels comme les pinasses aux nombreuses déclinaisons et qui retrouvent ainsi une seconde jeunesse. En 2008, Alexis succède à Jean-Louis et consolide l’essor de l’affaire en poursuivant dans le travail du bois.

 

Quant aux Bossuet, ils forment aussi une remarquable dynastie de charpentiers de marine. Elle naît en 1830 avec Jean-Baptiste, d’abord tonnelier et qui, passionné par la marine, apprend le métier puis s’installe dans le quartier de l’Aiguillon, à Arcachon, là où se situe toujours le chantier, ouvert vers 1850. (**) La « belle ouvrage » qu’on y pratique attire une riche clientèle et bientôt, vingt-cinq compagnons travaillent avec Jean-Baptiste. Et ils travaillent si parfaitement qu’en 1895 le voilier de course « Rolla III » reçoit le premier Prix de la Voile française à Cannes. Ils construisent des pinasses, des bacs à voile, des sardiniers, des canots à pétrole et même, en 1899, « Myrtille » aujourd’hui classé monument historique ! La marine de plaisance est en plein essor lorsque Louis prend la direction du chantier et le diversifie vers les réparations et l’entretien. Puis Pierre et Jean continuent l’entreprise et obtiennent une commande de plusieurs grosses pinasses pour la Marine nationale. M            ais elles leur coûteront cher puisque nous sommes en 1939 et que l’Etat en guerre puis en capilotade totale ne les leur paie pas. Commence alors une période noire : le chantier doit être vendu, il est réquisitionné et Guy, l’héritier est envoyé au S.T.O. A son retour, avec les arriérés de la dette nationale, mais très dévalués de la dette nationale, il peut tout de même rouvrir l’entreprise et se lance dans la construction de petites unités : Monotype d’Arcachon, Loup, Pacifics, 505 ou Canetons. Il fignole aussi en 1950 le voilier « Les 4 vents » pour Marcel Bardiau, le premier navigateur solitaire qui parcourra pendant huit ans 125 000 km autour du monde. Il est vrai que Guy, régatier redouté, sait ce que c’est que naviguer. Un talent qu’il transmet à son fils, Michel, qui courra avec succès dans de nombreuses régates internationales. Or, c’est le moment où la navigation de plaisance s’oriente vers la construction de séries en plastique, ce que refusent absolument nos deux Arcachonnais qui, pour continuer de prouver leur attachement au bois, se spécialisent alors vers la réparation des bateaux traditionnels. Ils ont eu raison d’attendre courageusement leur heure de revanche puisqu’à partir de 1980 le public se tourne de nouveau vers le bateau en bois. Plusieurs pinasses et canots sont alors construits. Jean-Baptiste, lui aussi régatier de valeur sur tous les plans d’eau d’Europe, prend la direction du chantier Bossuet en 2006 où il poursuit la construction de beaux bateaux traditionnels du Bassin.

Et voilà que, comme dans les contes de fées réussis car bien réels, Bonnin et Bossuet vont se rejoindre en 2010. Même si les deux chantiers restent des entités différentes, Alexis et Jean-Baptiste, 35 et 36 ans, copains depuis l’école maternelle, décident, en hommage à leurs pères respectifs disparus à trois semaines d’intervalle cette année-là, de redessiner les bateaux qui ont fait la longue et prestigieuse histoire de la marine du Bassin car ils désirent, disent-ils, « repeupler ce Bassin de beaux bateaux pour qu’il redevienne un paradis pour les voileux dotés d’embarcations esthétiques, élégantes et performantes ». C’est pourquoi ils sortent en 2011, inspirés par la tradition de la petite plaisance, le « Bô 28 » qu’ils décrivent ainsi : « Un voilier polyvalent qui peut se mener seul ou en équipage. Il est simple à manœuvrer et c’est un bateau familial dans lequel on peut passer une nuit sans problème et bien adapté au Bassin ». Puis, en 2015, leur sert de modèle un glorieux ancêtre, le bac à voile d’Auguste Bert, longtemps le « mulet du Bassin », du temps d’avant les « pétroleuses ». Ils sortent alors le bien nommé « Ti’Bac » dont les deux amis disent : « il est élégant comme un classique, performant comme un moderne, épuré et rustique, populaire comme le « Bélouga » ou le « Corsaire ». Le premier client pour ce modèle demande un peu de luxe à bord. On le lui construit puisque, depuis des décennies, les Bonnin-Bossuet ont montré qu’ils savent s’adapter et construire, disent-ils, « ce qu’on ne voit pas ailleurs ». Voilà donc le sympathique « Ti’Bac » lancé mais pas comme n’importe quel rafiot car, disent ses concepteurs, « il est construit sous les yeux de son futur capitaine qui vient régulièrement constater l’avancée des travaux ». Cette manière de travailler les ravit tout comme leur plaît le fait que, du moteur auxiliaire au gréement, de l’appareillage électrique aux voiles, tout vient du Bassin et de pas plus loin.

Toujours vivants et prospères depuis beaucoup plus d’un siècle sur les bords du Bassin et dans ses eaux, les chantiers navals Bonnin et Bossuet continuent, dans l’ancestral quartier maritime d’Arcachon-La Teste, d’innover, d’imaginer, de construire du beau et du solide, du bateau patrimonial du Bassin, dans le grand vent du rapprochement sage entre le modernisme et la tradition. Pour que ça dure et même longtemps.

J.D.

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(*) Chantier naval Bossuet, 1, rue Alexandrine. 331210 Arcachon. Tel : 06 10 03 33 16.

(**) Chantier naval Bonnin, 16, rue de l’Aiguillon. 33260 La Teste. Tel : 05 56 83 05 14.